15 octobre 2013

Pourquoi écrivent-ils ?

La rentrée littéraire est derrière nous. Mais les livres politiques fleurissent. Frédéric Daerden et Paul Magnette se sont affichés en librairie il y a quelques mois déjà. Merry Hermanus et Isabelle Durant sont actuellement sur les rayonnages. Steven Vanackere, prédécesseur de Koen Geens aux finances, publie un ouvrage ce mardi. Philippe Moureaux, déjà auteur de plusieurs récits, peaufine son prochain manuscrit. Autant de livres, autant de styles, mais une constante : en prenant la plume les élu(e)s établissent un nouveau lien avec l'opinion publique. Ils délimitent un espace, dont ils ont le contrôle, adapté à leur message, sans passer par l'intermédiaire ou le filtre d'un média. Cette liberté, outre qu'elle permet de sortir des petites phrases pour avoir le temps d'expliquer une vraie vision, nous dit beaucoup des intentions de l'auteur. La forme littéraire choisie, le contenu du récit, son articulation, nous renseignent sur le public visé, et sur la relation que l'auteur espère entretenir avec ce lecteur. Et comme du lecteur à l'électeur il n'y a qu'une lettre cela mérite qu'on s'y arrête. Je ne suis pas critique littéraire, vous me permettrez donc de passer les livres en revue sans toutefois juger les styles.

Première catégorie de livres politiques, le recueil de chroniques. Bart De Wever et Paul Magnette ont en commun de publier des billets réguliers dans un grand quotidien flamand. Les réunir sous forme de livre ne demande pas beaucoup de travail en plus. Opération gagnante qui vous permet de gagner des lecteurs au delà du lectorat du quotidien dans lequel les chroniques ont été publiées, de pérenniser votre œuvre (le journal est éphémère, le livre reste) et accessoirement de déposer votre visage dans les librairies. Si j'étais sordide je comparerais l'homme politique à une marque.  Un visage sur une couverture, c'est autant de contacts avec la marque que de clients dans les librairies. Si votre éditeur décroche le rayon livre du carrefour c'est bingo. 

Sur le contenu Paul Magnette propose une visite de l'espace francophone à destination des lecteurs flamands. Pour un bruxellois ou un wallon lire ces chroniques c'est un peu se voir dans le miroir du miroir. C'est déformant bien sur, mais ça ne manque pas d'intérêt. On y comprendra que les clichés entretenus au nord sur le sud ne pourront pas être déconstruits tant les habitants du sud les  intègrent dans la perception qu'ils ont d'eux-même. Ajoutons que c'est une lecture agréable, par chapitre ou d'un trait.


Deuxième registre le livre-entretien, genre très prisé, que ce soit en duo avec un journaliste, ou comme dans le cas de Frédéric Daerden avec un interlocuteur artificiel censé incarner monsieur ou madame tout-le-monde. L'interlocuteur pose des questions, le politique y répond. L'ouvrage ici a une visée pédagogique. Frédéric Daerden y a même ajouté des fiches d'explication (qu'est ce que la subsidiarité ou une majorité qualifiée). On sent la patte des collaborateurs derrière l'ouvrage qui veut rapprocher l'électeur du fonctionnement du parlement européen. On est ici entre l'ouvrage scolaire et la profession de foi, et l'ouvrage sera instructif pour tous les étudiants en sciences politiques. On peut y voir, aussi, en creux, un malaise : celui d'un élu très implanté localement mais confronté au déficit d'explication des qu'on parle d'union européenne. Mais que fais-je donc si loin de vous, chers électeurs, lorsque je suis à Bruxelles ou à Strasbourg ? 

Toujours dans la catégorie Europe, Isabelle Durant a opté pour le livre-manifeste. Là aussi c'est un classique de la littérature politique, où l'auteur fait part de sa vision du monde et dévoile ce qui s'apparente à un programme. C'est dense, touffu, cela invite à la réflexion, et cela demande sans doute plus d'effort de la part du lecteur. Comme pour le livre précédent on notera toutefois une volonté pédagogique et ceux qui aiment l'Europe prendront un réel plaisir à découvrir quelques anecdotes sur le fonctionnement du parlement européen (Isabelle Durant en est vice-présidente et n'est pas tendre avec Herman Van Rompuy, le président du conseil). Particularité de l'ouvrage de l'euro députée ecolo celui- ci à été écrit à 4 mains avec une partenaire n'est pas membre du même parti (la socialiste allemande Gésine Scchwan) ce qui lui permet de sortir du lot des nombreux ouvrages qui proposent une vision européenne. 

Avec Merry Hermanus c'est une autre catégorie qui s'offre à nous, celle des livres-souvenirs. C'est déjà le second ouvrage du genre de l'ancien secrétaire général de la communauté française. Dans le précédent (l'Epreuve) l'auteur se concentrait sur les affaires Inusop et Agusta-Dassault qui lui ont valu d'être condamné. Dans ce qui pourrait paraître comme une suite Merry Hermanus dresse surtout le récit de ses jeunes années dans les cabinets ministériels. Des situations croquignoles, des anecdotes, un livre de récits savoureux où l'on croise les grands formats des années 70/80. Hermanus veut s'y poser en concurrent de Philippe Moureaux qu'il égratigne au passage. On y sent aussi le désir de crier 'ma vie ne se résume pas aux procès que vous connaissez'.

Philippe Moureaux justement prépare aussi une galerie de portraits. On y croisera de grands noms de la politique comme Wilfried Martens. Je suis prêt à parier qu'on y parlera pas beaucoup de Merry Hermanus. 

Enfin Steven Vanackere nous offre aujourd'hui le livre justification. Dans la premiere pierre il nous invite à suivre les vices de nos politiques mais c'est pourtant la vertu que l'ancien vice-premier ministre  décrit dans ses pages. Pourquoi faut-il faire de la politique semble vouloir nous expliquer le ministre démissionnaire, qui se decrit plus vertueux que vicieux, préparant sans doute ainsi son come back : il pourrait être candidat aux élections européennes de l'an prochain. L'ouvrage n'est à ce stade publié qu'en néerlandais. 

Notons que tous ces ouvrages ne feront pas la fortune des éditeurs. En Belgique francophone le livre politique se vend correctement  mais l'étroitesse du marche fait que l'exercice est rarement rentable. Il faut déborder sur le marché français pour atteindre le vrai succes. Il y a quelques années beaucoup d'ouvrages politiques s'editaient ainsi à compte d'auteur. Pour certaines maisons d'édition on demandait au candidat-écrivain de financer lui même l'exercice en achetant à l'avance de grandes quantités ou en s'engageant à reprendre les invendus. On n'est pas sûr que ces pratiques aient disparues. La preuve : de nombreux ouvrage paraîtront sûrement juste avant le début de la campagne officielle au printemps prochain. En faisant bien attention à la date, car une fois la campagne officiellement lancée les frais d'édition risquent d'être incorporés aux comptes de campagne. Et ça, même quand on aime beaucoup écrire, on préfère éviter. 


1 commentaire:

Unknown a dit…

Merci de continuer à nous proposer autre chose que le "mainstream" des emballements collectifs épidermiques, qu'ils soient sportifs, politiques ou médiatiques! Ces livres, quels qu'en soient le mode de financement, le style, l'angle, la motivation... ont le grand mérite d'exister, pour ceux, trop rares certes, qui comme toi veulent continuer à aller plus loin que ça. Et tu as le grand mérite de les faire exister un peu plus, pour que nous soyons moins rares... Mais il est clair que la force de frappe des autres est sans commune mesure, malheureusement pour notre démocratie...