27 mai 2014

Le "projet progressiste" et les coalitions possibles

Il faudra encore quelques jours pour entrer dans le vif du sujet. Le temps de faire baisser la pression nerveuse et médiatique. Le temps d'oublier les grandes déclarations de la campagne électorale. Le temps de quelques contacts discrets loin des regards et des oreilles de la presse. En attendant donc, on organise des rencontres et des tours de tables, on se documente. Une bouffée d'air pour réguler ardeurs et calendrier, que cela s'appelle information au niveau fédéral, ou premières consultations dans les régions, le principe est le même : temporiser. Le schéma est connu : recevoir tous les leaders politiques, puis enchaîner avec les partenaires sociaux, le monde académique, la banque nationale, le commissaire au plan, prendre quelques jours pour rédiger un rapport ou l'on tente de fixer une orientation ... Ce n'est qu'après que les choses sérieuses débuteront.

Il n'empêche. Laurette Onkelinx a donné des ce lundi soir une première indication : "dans les jours qui viennent, je vais prendre des initiatives autour d'un projet  progressite" disait-elle à l'issue du bureau de parti qui lui confiait les rênes de la négociation bruxelloise. "Projet progressite" la notion peut paraître vague (un conseiller libéral me confiait en ne souriant qu'à moitié qu'il était bien progressiste, et que les conservateurs n'étaient pas dans son camp) mais elle renvoie plutôt dans l'imaginaire socialiste à une idée de la gauche. En d'autres termes le PS va d'abord tenter de nouer des coalitions de centre-gauche. 

C'est une question de cohérence d'abord, puisque lors de la campagne plusieurs ténors socialistes ont fait part de leur désir d'éviter de préférence les libéraux "si cela est arithmétiquement possible". C'est une question de rapports humains ensuite : bleus et rouges ne se sont pas épargnés, et même si de nombreux cadres des deux formations rêvent de violette, les échanges virulents sur les plateaux TV ont laissé des traces entre dirigeants  (traiter un concurrent de menteur c'est l'argument ultime en politique et cela n'est jamais sans conséquence). Enfin c'est une question de stratégie électorale. Maintenant que le PTB pose un pied dans les assemblées, négocier avec les libéraux serait lui offrir l'argument du "gouvernement des droites" sur un plateau. Tant qu'à se faire critiquer autant que cela vienne des deux côtés, plutôt que d'être la cible exclusive de votre propre camp. Ajoutez la proximité des programmes et que vous comprenez que le PS va, dans un premier temps au moins, privilégier une alliance sans libéraux. 

Ecolo étant  sanctionné par les électeurs (on voit mal la directiondu parti vendre une participation quelconque en assemblee générale ) une coalition rouge romaine, traduisez PS/CDH, semble envisageable en Wallonie, et une alliance des  mêmes avec le FDF en prime pourrait bien voir le jour à Bruxelles. Ça ressemble à un projet progressiste et cela représente une majorité.  Simple ? Oui peut être trop simple.  D'abord il faudra que FDF et CDH disent d'accord. Ensuite il ne faut pas oublier que le MR dispose encore d'une carte dans son jeu. Il a perdu l'argument du premier parti à Bruxelles qui était sans doute son meilleur biais (avoir la main à Bruxelles) pour entrer dans les majorités régionales (je te prends à Bruxelles si tu me prends en Wallonie). C'est donc de ce point de vue un échec  pour Didier Reynders et Vincent De Wolf même s'ils réalisent l'un et l'autre de très bons scores personnels. Mais  pour les libéraux il reste l'echelon fédéral. Forts de 20 députés (3 de moins que le PS) les libéraux sont un groupe qui compte lorsqu'il faudra former un gouvernement fédéral. 

Voici donc les stratégies : avancer vers des coalitions "progressistes" au niveau régional  pour le PS. Crier au loup et appeler à des gouvernements symétriques pour le MR. Vous noterez que comme ils n'ont pas la main, les libéraux communiquent beaucoup depuis deux jours sur leurs bons scores  (réels mais improductifs car le gagnant c'est toujours le plus gros, même s'il est en recul), histoire de prendre l'opinion à témoin et de faire pression sur les socialistes. 
Cette formation de gouvernement sera donc sans doute aussi une question de tempo. Si le fédéral s'enlise les régions vivront leur vie. Si les discussions y sont sérieuses, le sort des régions y sera lié. 
On connait l'argument de Charles Michel : partout ou nulle part. Sauf que Charles Michel n'a pas la main. Et que si dans quelques mois les voix du MR sont nécessaires pour sortir le pays de la crise le MR n'aura probablement pas beaucoup d'autre choix que de dire oui : on n'est pas celui qui porte la responsabilité d'une  crise de gouvernement impunément, l'Open VLD s'en souvient encore. À ce stade le rouge romain  a donc le vent en poupe. Si les choses s'enveniment la violette ou  la tripartite classique s'imposeront  comme une évidence : plus larges, plus solides, même on n'est pas aujourd'hui dans ce climat là. Et si on y arrive un jour, faire sentir que c'est une option, mais pas la seule, permet d'en faire payer le prix à vos partenaires. Paradoxalement c'est donc le MR qui aurait maintenant le plus intérêt à un durcissement du débat communautaire, parce qu'il justifierait un front francophone. 

Sprint d'un côté, marathon de l'autre. Ajoutons que le PS, s'il a la main, n'est pas numériquement incontournable, et que dans l'absolu tout est encore possible, il devra donc éviter d'humilier ses partenaires. La seule certitude ce mardi étant la quasi impossibilité de reconduire des coalitions Olivier. 
La course ne fait que commencer.


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