13 septembre 2014

Quand Maggie est super star la politique est super nulle

Elle est top. Au top des sondages, à la une des journaux et des magazines et même désormais au coeur des spéculations pour la désignation du poste de premier ministre. Maggie De Block, secrétaire d'Etat chargée de la politique d'asile et de la lutte  contre la pauvreté écrase la politique  belge d'une popularité inégalée. Le baromètre politique  RTBF/La Libre vient encore de le confirmer.   Son physique hors norme, sa voix fluette, son parcours atypique en politique (elle est médecin et est restée longtemps dans l'ombre avant d'être propulsée au devant de la scène) apportent un peu de fraicheur. 
Lorsque son nom a commencé à circuler pour le poste de chef de gouvernement j'ai d'abord  haussé les épaules. Les journalistes qui se risquent à ce genre de pronostics confondent popularité et rapport de force, médiatisation et compétences, pas la peine de s'y arrêter. Pourtant le nom de Maggie De Block a bien été suggéré lors de la fameuse nuit où le poste de commissaire européen a été attribué au CD&V et le 16 promis à un(e) libéral. Et cette semaine encore j'ai croisé deux conseillers influents et bien informés qui considéraient la candidature comme très sérieuse. 

Entendons-nous bien : je n'ai rien contre Maggie De Block. J'ai eu l'occasion de l'interviewer sur Bel RTL, c'est une personnalité plutôt agréable. Mais ce n'est pas la question. Le problème qui nous occupe est de savoir si elle peut prendre les rênes d'un gouvernement dans un contexte économique incertain, avec une coalition inédite pour laquelle le mode de fonctionnement reste encore à inventer, avec à bord un parti indépendantiste et en ayant dans 2 des 3 régions fédérées des gouvernements probablement peu coopérants. 

Non, Maggie De Block n'est pas qualifiée pour être premier ministre. Sa première élection à la chambre remonte à 1999 ce qui nous donne une 15 aine d'années d'expérience politique au niveau fédéral. Mais son accession au poste de secrétaire d'Etat ne date que de 2011. Trois ans dans un secrétariat d'Etat mineur c'est peu. Pas assez en tout cas pour maitriser une coalition, dialoguer d'égal à égal avec des présidents de parti, concilier les points de vue, maitriser les égos de vos ministres, canaliser la fougue des parlementaires et éviter les pièges de l'opposition ou de la presse. Vous imaginez Maggie De Block intercéder auprès de Jean-Claude Juncker, nouveau président de la commission ? Vous imaginez Maggie De Block négocier avec le gouvernement français pour sauver une banque ? Appeler Vladimir Poutine pour lui demander de ne pas couper le gaz ?  A moins que son nom ne soit un leurre destiné à faire baisser la pression sur d'autres candidatures, Kris Peeters, Didier Reynders et même Bart De Wever ou Koen Geens semblent bien mieux armés. Sans doute leur parti est-il moins demandeur que l'Open VLD, et c'est bien dramatique

J'imagine déjà les commentaires que les internautes ne manqueront pas de poster. Que je suis un journaliste si proche du milieu politique que je suis incapable de réinventer ma manière de voir. Sans doute parce que je sais à quel point les décisions politiques sont difficiles à prendre et les consensus pénibles à obtenir. La passe d'arme de Maggie De Block avec une sénatrice Ecolo (voir ci dessous) dans l'enceinte du sénat ou la froideur avec laquelle elle a pu commenter la mort d'un réfugié Afghan qui avait été réexpédié dans son pays par la Belgique ne laisse pas transparaitre des qualités de sang froid ou d'empathie hors normes. Pour tout dire, les positions prises par Maggie De Block donnent d'elle l'image d'une personnalité qui aime l'autorité et le bon sens commun, ce qui explique probablement son succès  : il n'y a pas beaucoup de chemin à faire  entre populaire et populiste. 
Côté bilan, le  fait d'avoir pu maitriser le flux de l'asile ou de ne pas avoir eu (trop) de SDF morts de froid n'est pas anodin, mais cela reste sans commune mesure avec les défis qui attendent le prochain locataire du 16 rue de la Loi. 

La Flandre aime se fabriquer des héros qu'elle porte aux nues et qui dégringolent ensuite. Steeve Stevaert, Yves Leterme, Bart De Wever, et donc maintenant Maggie De Block. 
Bien sûr, lorsqu'on  présente une nouvelle tête, et que celle-ci incarne une nouvelle offre politique (une position très à droite tout en restant respectable) il n'est pas anormal d'attirer l'attention. Ajoutons que  Super Maggie peut en outre compter sur l'expérience d'Els Cleemput, efficace porte parole de l'ancienne gendarmerie qui la guide dans la jungle des médias.  Comme souvent les journalistes ont eu du mal à résister à l'effet d'emballement. Une avalanche d'interviews et de reportages, non pas sur la politique mais sur la personnalité de Maggie De Block, ça aide à devenir populaire. On pourra me reprocher d'avoir participé au phénomène : en  charge de l'interview de 07H50 ces trois dernières saisons j'ai invité une fois Maggie De Block. Je pense que c'était juste et proportionné. Je ne suis pas sur que tous mes confrères puissent en dire autant. 

Mais la responsabilité première n'est pas celle de la presse. Elle se trouve bien parmi les élus. C'est un parti, l'open VLD, qui a propulsé Maggie De Block au gouvernement fédéral. C'est un ensemble de négociateurs de 4 formations politiques distinctes qui laissent aujourd'hui circuler l'idée qu'elle pourrait faire un bon premier ministre. Courir après l'opinion publique est le meilleur moyen d'achever de décrédibiliser  la fonction politique. Ne pas revendiquer le poste de premier ministre est déjà troublant. Le confier à la personnalité la moins expérimentée du plus petit parti de la coalition sera franchement désespérant. Une véritable gifle au bon sens. La victoire définitive du spectacle sur la politique. 

Peut-être un homme ou une femme politique courageux existe-t-il qui viendra nous rappeler dans les prochains jours que la fonction de premier ministre requiert une expertise hors norme. Que caracoler en tête des sondages ne suffit pas à vous donner le poids politique nécessaire. Que la sympathie de l'opinion ne dispense pas d'avoir un projet et des compétences. 






3 commentaires:

LilAngel a dit…

Maggie De Block apparaît comme une femme raisonnable et juste. Ce qui manque pas mal en politique et singulièrement à droite. Quitte à avoir un premier ministre (ou une première ministre) de droite, autant que ce soit Maggie De Block. Ne pas être issu de l'establishment politique n'est pas une tare, loin de là

Jonathan a dit…

La politique poussiéreuse belge a peut-être justement besoin d'une femme moins expérimentée.

Elle pourrait amener un vent de fraicheur et délier les langues de bois.


A coalition inédite, première ministre inédite.

Anonyme a dit…

Pertinente remarque sur le manque d'expérience... Applicable également à Charles Michel, tous les négociateurs NVA, même Kris Peeters qui ne connait que le gouvernement flamand, etc. Bref, reste Reynders ...