05 juillet 2015

Référendum : le combat des deux Aristote, ou le choix de civilisation


Quelque soit le résultat
du référendum ce soir, la consultation organisée aujourd'hui en Grèce marque un moment politique. C'est donc à cette république grecque, berceau de notre démocratie à l'occidentale, qu'il appartient de dire si oui  non, les peuples européens acceptent des programmes d'austérité économique au nom de l'orthodoxie budgétaire. Comme dans toute démocratie, c'est au peuple grec, et à lui seul, qu'il appartient de dire quelles sont les contraintes qu'il accepte d'endurer. Mais le débat déborde largement le cadre national, il suscite l'intérêt, l'enthousiasme, l'inquiétude ou la crainte. Nous avons bien compris que la question grecque donnera le "la" des prochaines années au sein du concerto européen.

Si le oui l' emporte, la politique économique européenne ne sera pas remise en cause. Il faudra faire avec l'effondrement probable d'un des états membres, le mettre sous perfusion, l'isoler de ses voisins et éviter la contagion. La métaphore est médicale : la Grèce est l'enfant malade de l'Euro, celui qui à force de se gaver d'une confiture à laquelle il n'avait pas droit est soudainement pris d'indigestion et soumis à la diète par le reste de la famille qui veut lui faire passer l'envie de recommencer. Le régime est d'autant plus drastique que la bêtise fut grande, quand on pique la confiture du voisin on ne peut s'attendre à ce qu'il vous en resserve. 

Si le non triomphe, Alexis Tsipras reviendra plus fort devant le conseil européen. C'est la logique de l'endettement des pouvoirs publics qui sera alors remise en cause. La découverte que les états membres peuvent s'affranchir de leurs obligations budgétaires et bancaires si leurs citoyens en décident ainsi. Depuis très longtemps les finances des États occidentaux vivent à crédit ce qui a pu laisser croire que le vrai pouvoir est dans les mains des détenteurs de créances. N'en déplaise aux donneurs de leçon : dans une démocratie le peuple a toujours raison. En cas de victoire du non il faudra bien que les créanciers consentent  a étaler les remboursements et à abandonner une partie des créances. Ce sera une leçon sévère ( le terme de correction n'est pas trop faible) pour les élites politiques économiques et bancaires (elles se mélangent souvent), qui oublient qu'elles agissent par délégation : le pouvoir qu'on leur confie dans le cadre d'une démocratie représentative (pour les politiques) ou dans le cadre d'un dépôt (lorsque je confie mes économies à la banque) n'est pas un pouvoir absolu et illimité dans le temps. Si le peuple ne comprend plus les politiques mises en œuvre en son nom c'est au minimum qu'on a manqué de pédagogie. Dans le pire des cas c'est qu'on a oublié de servir l'intérêt de ceux qui vous ont confié leurs suffrages ou leurs économies. 

Bien sûr le scénario du non  n'est pas sans danger. Il créera un précédent, d'autres états membres (dans la réalité presque tous) sont endettés et pourront bénéficier de la jurisprudence Tsipras. La zone Euro va s'affaiblir, perdre de sa crédibilité, le scénario d'un nouveau séisme bancaire n'est pas à  écarter. L'économie européenne sera moins puissante, peut être, mais c'est surtout le système bancaire et  monétaire mondial qui va tanguer.   A dire vrai il y a de quoi avoir quelques sueurs froides. Dans un monde où le voisin russe est ombrageux et où de vastes territoires du continent africain et du moyen orient  basculent dans les mains de  fous de Dieu (on écrirait bien fous tout court) nous aurions bien besoin d'une Europe forte, solide, unie. Le politique ne doit pas faire avec le monde tel qu'on le rêve mais avec le monde tel qu'il est. 

Depuis les années 1980 ce politique ne cesse de se soumettre aux demandes de l'économie. L'effondrement des grandes idéologies laisse la place à une interconnexion toujours plus grande. Faut-il continuer dans cette voie, parce que le marché assure la création de richesses, concourt à la liberté et que c'est bien le moteur de développement  le plus puissant ? Faut-il marquer un coup d'arrêt, que les peuples et leurs gouvernements reprennent le dessus et imposent régulation et contrôle ? Symbolisons le débat :  c'est Aristote l'armateur richissime (décédé en 1975, dont la fortune fut estimée à un milliard de dollars) contre Aristote le philosophe (qui dans l'Ethique à Nicomaque évoque la justice redistributive). On est pas loin du choix de civilisation. Il est assez savoureux que ce soit au peuple grec qu'il appartienne de trancher. 

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