18 octobre 2015

Anne-Marie Lizin : le volcan au service des femmes et des opprimés (souvenirs personnels)

Anne-Marie Lizin est un ouragan, une tornade, un volcan. Si vous lui résistez,  elle vous renverse où vous contourne, mais au final elle passe quand même. C'est l'image qui m'est venue à l'esprit en apprenant sa disparition ce samedi. 

Mes premiers souvenirs de la bourgmestre de Huy  confirment une sacrée réputation. Nous sommes en 1986 (je ne suis pas encore en Belgique) elle récupère un enfant enlevé par son père en Algerie. Son plan : passer les contrôles avec un faux passeport. La fin justifie les moyens expliquera-t-elle. La lutte contre les rapts parentaux, et le droit des femmes en général vont l'occuper une bonne partie de sa carrière. C'est un engagement au sens noble du terme. Anne-Marie Lizin ne supporte pas les discriminations et l'oppression. Quand elle les croise, elle fonce tête baissée. Cela l'amène à se mettre du côté des femmes, à s'intéresser aux pays en développement, à rencontrer les  mouvements de libération, et à  toujours prendre le parti des rebelles contre celui des dictateurs.  Le féminisme, l'international et la ville de Huy : vous avez les trois pôles de son activité.

"Anne-Marie Lizin ? Si tu ne la reconnais pas, elle te reconnaîtra, elle est toujours sur la photo" me glisse un cameraman la première fois que je dois recueillir sa réaction.  Anne-Marie Lizin a l'art de se placer. Elle sait quand la caméra va tourner, elle déboule toujours au premier rang à ce moment là et personne n'ose alors lui dire que ce n'est pas sa place. Elle a fait le coup des dizaines de fois. Au Brésil avec Lula, à Bruxelles avec la famille royale, au proche-orient avec tout le monde, et même à New-York lors d'une rencontre entre Boutros Boutros-Ghali et Jean-Luc Dehaene où elle s'invite au petit déjeuner, chacun des convives (ils sont quand même respectivement secrétaire général des Nations Unies et premier ministre ) pensant que c'est l'autre qui l'a conviée. 
Quand elle apparaît,  ce n'est pas pour faire plante verte ou élément de décor : elle prend toute sa place, parle de sa voix haut perchée mais forte, tous les regards se tournent, elle est au cœur de l'action et aimante flashs et caméras. Quand elle devient président du Sénat, j'ai vu un Herman De Croo s'en froisser : comment la présidente du Sénat peut-elle se croire à ce point importante qu'elle vole sans vergogne la vedette au président de la chambre qui a théoriquement plus de pouvoir ? Comme il est malin et galant Herman finira par s'en amuser. Ensemble, ils incarnent l'institution parlementaire des années Verhofstadt  et Herman ne manquera plus de s'assurer, avec humour,  qu'elle est bien placée pour la séance de pose. Du coup Anne-Marie possède  une incroyable  collection de photos : de Yasser Arafat à Shimon Perez, en passant par le Dalaï Lama, on pourrait enseigner l'histoire du  XXieme siècle en s'appuyant sur son portfolio. 

Dans les couloirs de RTL elle me claque une bise sans me demander mon avis. Moi qui préfère garder une certaine distance et vouvoyer les politiques,  me voilà servi. Anne-Marie Lizin, volubile, vous laisse à peine le temps d'acquiescer, ne répond jamais  aux objections, et, toujours, pressée, vous prend le bras pour passer d'une pièce à l'autre. "Elle est incroyable, hein ?" me lance ma cheffe de service Katryn Brahy, rigolarde. Ces deux-là ont le même ressort : toniques, souriantes, énergiques et toujours en mouvement .  Anne-Marie Lizin, qui a épousé un journaliste,  a tout compris aux médias. C'est une bonne cliente, elle s'exprime clairement, avec une dose de passion, c'est vivifiant. Elle est disponible et surtout elle aide nos auditeurs à comprendre le monde. En radio je l'invite à plusieurs reprises pour commenter l'actualité internationale. Dans ce registre elle est du calibre d'un Josy Dubié ou d'un Louis Michel : engagée et pédagogique. 
Sa capacité à réagir sur beaucoup de sujets et son goût des médias ne sont  pas toujours appréciés.  Dans les rédactions on parle de "mémé Zinzin" et on moque un goût vestimentaire qui n'est pas le bon chic parisien.  En matière textile Anne-Marie fait rarement dans la sobriété. 

2007, c'est la fin de sa présidence au Sénat. Je suis en bas du grand escalier escalier rouge, elle est tout en haut. Je l'interpelle. Un huissier et un agent de sécurité nous interdisent de monter. Elle a décidé que la presse audiovisuelle ne pouvait plus circuler dans les couloirs. C'est le revers de la médaille. La liberté de la presse c'est bien pour les autres, pas quand on est soi-même concerné. Fini les interviews caméra au poing qui ont fait les délices des JT (et un peu de ma réputation). C'est l'épique époque  des affaires. Le PS tremble à Charleroi, et Patrick Remacle, à la RTBF, enquête sur une distribution de tracts à Huy par des employés communaux en plein service. La presse s'intéressa encore à un courrier au juge d'instruction, à ses cartes de crédit ou à la gestion de l'hôpital local.  Anne-Marie Lizin aime tout d'un coup beaucoup moins les médias. Elle se replie, nie l'évidence et toise son monde. Tous les indices étaient là depuis le début : le goût des voyages et des grandes rencontres, l'utilisation des escortes à moto, et la fin qui justifie les moyens. Au contact du pouvoir Anne-Marie Lizin a manqué de prudence, elle n'a plus clairement séparé ce qui la servait ce qui servait l'intérêt général. Dans un PS qui lance une opération mains propres son manque de discernement passe mal. Elio Di Rupo et Anne-Marie Lizin c'est l'eau et le feu. Il veut éteindre l'incendie, elle fait mine de ne pas comprendre et sera priée d'aller crépiter plus loin. Même le communiqué qui salue sa disparition ce samedi reste glacial, signe qu'on ne lui a pas vraiment pardonné. 

Pourtant, hors du PS et hors de Huy il ne restera plus que quelques petites flammèches. Une histoire de voitures embouties sur le parking de la maison communale. Un exil à Paris. Quelques interviews à intervalle régulier. Des anecdotes au regard de ses engagements de départ : le droit des femmes, la défense des opprimés et le rayonnement d'une ville qui lui doit beaucoup. 
La volcanique Anne-Marie Lizin a fait en sorte que sa dernière braise s'éteigne à Huy. 

1 commentaire:

Unknown a dit…

D'Anne Marie Lizin, on retiendra également :
- que son engagement pour le droit des femmes la conduisait à prendre systématiquement le parti de la femme dans un conflit de couple sans même connaître l'objet du conflit.
- que son engagement pour les opprimés ne l'a pas empêchée de se voir condamner nommément par Amnesty International pour avoir cautionné l'usage de la torture à Guantanamo.
- que son engagement en faveur du rayonnement de Huy a laissé une réputation de gestion autoritaire, irrationnelle et entachée de détournements de fonds publics qui lui ont valu une condamnation judiciaire.

Alors, oui : Lizin a posé des actes positifs dans sa carrière. Mais de là à en faire l'hagiographie...